Journal de l'économie

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La « peinture métaphysique » de Giorgio de Chirico au musée de l’Orangerie





Le 14 Octobre 2020, par Christine de Langle


Giorgio de Chirico (1888-1978) Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire, 1914 Musée national d'art moderne, Centre Pompidou, Paris Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka © ADAGP, Paris, 2020
Giorgio de Chirico (1888-1978) Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire, 1914 Musée national d'art moderne, Centre Pompidou, Paris Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka © ADAGP, Paris, 2020
Voici une exposition qui entend combler un manque. Giorgio de Chirico, grande figure de la galerie Paul Guillaume qui le représenta jusque dans les années 1930, est en effet absent des collections du musée de l’Orangerie ouvert en 1984 grâce à la donation Walter-Guillaume. Domenica Walter, veuve de Paul Guillaume, accomplit le vœu de son époux et donne au Louvre son exceptionnelle collection d’art africain et de peintures, de l’impressionnisme à l’art moderne, parmi lesquelles une superbe collection de toiles de Chirico. Malheureusement, Domenica, au goût plus classique, a vendu toutes les toiles de l’artiste italien, pour acheter des Renoir et des Cézanne.
 
Qu’est-ce que la « peinture métaphysique » ? Et comment entrer dans la compréhension de cette œuvre ? Certes, tout ce qui touche à la métaphysique pose la question du sens. Mais en 1919, le peintre balaie cette question et affirme : « L’abolition du sens en art, ce n’est pas nous les peintres qui l’avons inventée. Soyons juste, cette découverte revient au polonais Nietzsche, et si le français Rimbaud fut le premier à l’appliquer à la poésie, c’est votre serviteur qui l’appliqua pour la première fois  la peinture ». Il aime l’énigme et exprime ce qui est au-delà de « ce qui tombe directement sous nos sens ». C’est pourquoi l’exposition se concentre sur les années 1906-1917 qui voient l’éclosion et le développement de cet art qu’il définit en 1971 comme « au-delà des choses physiques ».
C’est à Munich, où il suit les cours de l’académie des beaux-arts de 1906 à 1908, qu’il découvre la lecture des romantiques allemands, Schopenhauer et Nietzsche, mais aussi la peinture symboliste de Böcklin et sa Bataille de centaures dont il s’inspire dans ce Centaure mourant qui ouvre l’exposition. Le centaure, créature mi-homme mi-taureau, traduit le combat entre la raison apollinienne et la démesure dionysiaque, deux formes d’art décrites par Nietzsche dans La Naissance de la tragédie. A Paris, de 1911 à 1915, stimulé par la richesse artistique de l’avant-garde, Chirico développe la dimension métaphysique de son art. Apollinaire, fondateur de la revue littéraire et artistique, Les Soirées de Paris, s’enthousiasme pour ces « énigmes plastiques » et lui fait rencontrer le Tout-Paris artistique, Picasso, le cercle des Ballets russes, et Paul Guillaume qui devient son marchand.
 
Dans ses tableaux, les trains passent et repassent, dans un sens ou dans un autre, au premier plan ou en arrière-plan. Le jeune Giorgio a passé en effet ses premières années en Grèce où son père ingénieur a participé à la modernisation du pays par la construction du chemin de fer. La Grèce d’Apollon et Dionysos côtoie ainsi la Grèce moderne qu’il a connue enfant. Il aime les rapprochements improbables : dans Mélancolie d’un après-midi, deux artichauts étalent leurs feuilles pointues sur fond de train à vapeur. Magritte n’est pas loin. Ces associations surréalistes nous libèrent car nous nous sentons autorisés à laisser aller notre imaginaire. Au lieu de les réfréner sagement, convoquons nos pensées « folles ». Cette visite d’exposition revient moins chère qu’une séance de psychanalyse !

Et que dire de ces ombres étrangement allongées que côtoient des pans de lumière sans modulation ? Avec La Récompense du devin, de 1913, Chirico continue de nous intriguer. Sur fond d’architecture antique et de train à vapeur, cette figure féminine allongée, assoupie et douloureuse, ressemble à l’Ariane endormie du Vatican, célèbre antique copié de nombreuses fois depuis son achat par le Pape en 1512. C’est Ariane, abandonnée par Thésée sur l’ile de Naxos et sauvée par Dionysos, qui se lamente encore dans La Plainte d’Ariane, que Nietzsche insère dans Ainsi parlait Zarathoustra. Entre 1912 et 1913, Chirico peint huit tableaux sur ce thème de la détresse et de l’abandon. Ariane devient le double de l’artiste, solitaire et transfiguré par le contact avec l’infini, comme Ariane l’a été par le dieu Dionysos. Les artistes sont en effet des visionnaires : c’est en 1914 que Chirico peint un portrait prémonitoire d’Apollinaire et l’offre au poète qui en fera le frontispice de son premier recueil de calligrammes. Son titre d’origine, Homme-cible, annonce de façon stupéfiante l’éclat d’obus qui blessera celui-ci en 1916. André Breton, photographié par May Ray, allongé devant L’Énigme d’une journée montre la dette que le surréalisme doit à Chirico.
 
La visite des salles permanentes rénovées complète l’exposition. Paul Guillaume en est le fil rouge avec ses collections d’art africain et les maquettes de son appartement dévoilant les œuvres dans leur décor d’origine.
 
Paris, musée de l’Orangerie jusqu’au 14 décembre 2020
https://www.musee-orangerie.fr/fr
 
Christine de Langle, fondatrice d’Art Majeur
www.art-majeur.eu

Giorgio de Chirico (1888-1978) La récompense du devin 1913 Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950 © Artists Rights Society (ARS), New York / SIAE, Rome © ADAGP, Paris, 2020
Giorgio de Chirico (1888-1978) La récompense du devin 1913 Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950 © Artists Rights Society (ARS), New York / SIAE, Rome © ADAGP, Paris, 2020


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